Les soins intensifs en mode pandémie, ou comment nous nous adaptons au Covid-19
Un texte des Drs Pierre Goffin et Julien Guntz, anesthésistes intensivistes à la Clinique CHC MontLégia
La crise du Covid-19 touche toutes les sociétés et singulièrement les organismes de soins. Depuis des mois, nous observons incrédules l’avancée de ce qui n’était encore qu’une épidémie en Chine. L’intensification du nombre et la sévérité des cas en Europe depuis début mars ont conduit notre pays à une prise de conscience de la dangerosité de ce qui était devenu une pandémie. Le Groupe santé CHC a aussi pris toute la mesure de l’urgence et a décidé d’avancer la date de son déménagement d’une semaine. L’idée était de pouvoir monter en puissance plus « facilement » sur le nouveau site hospitalier du MontLégia et ce avant que la déferlante de patients ne soit là.
Le challenge a donc été triple pour notre équipe des soins intensifs:
- anticiper le déménagement à l’heure où les dernières finitions organisationnelles prenaient forme
- traiter et transférer des patients Covid en réanimation
- préparer notre défense face au virus
Il faut bien reconnaitre que nous avons bien dû nous jeter à l’eau et l’adaptation a été faite marche forcée dans nos nouveaux locaux de la Clinique CHC MontLégia. Quoi qu’il en soit, nous avons rapidement et profondément restructuré nos locaux, nos équipes et notre manière de travailler.
Une gestion architecturale
Travailler dans un contexte de pandémie virale hautement contagieuse n’est pas facile. Il a été rapidement décidé de scinder nos espaces de travail. La Clinique CHC MontLégia compte 4 unités de soins intensifs, groupées par deux et physiquement indépendantes.
Nous avons donc décidé de consacrer 2 unités de soins intensifs aux cas Covid-19 (24 lits) et 2 autres unités de soins intensifs aux cas dits « propres » (24 lits). Ceci permet plus aisément de préserver les patients non porteurs face au Covid-19 dans des box séparés.
En ce qui concerne les 2 unités dédiées aux patients Covid-19, nous avons utilisé les couloirs de circulation réservés aux visiteurs pour permettre la circulation du personnel entre zones contaminées ou non, en limitant les flux et donc les risques de contamination.
Malgré ce redéploiement, nous avions besoin d’accroitre notre capacité d’accueil. La réorganisation obligée des activités hospitalières et opératoires nous a permis de prendre position également en salle de réveil. Cette dernière a donc été transformée en une vraie unité de soins intensifs avec 25 lits de réanimation ; possiblement 50 en mode hyper-intensif. Le challenge a été de transformer cet espace ouvert en un temps record de quelques jours à peine afin d’accueillir les patients supplémentaires.
Une gestion médicale
Face à la surcharge de travail, l’équipe d’intensivistes au complet ne pouvait suffire. Tous les membres du service d’anesthésie-réanimation ont donc retroussé leurs manches. Ainsi, l’équipe de base d’intensivistes a plus que doublé par le renfort d’anesthésistes. Le mélange immédiat et équilibré des équipes, la mise en place de protocoles, de tutoriels d’information et les réseaux de communication ont permis en un temps record de mettre tout le monde à niveau et d’uniformiser nos pratiques de prise en charge des patients Covid-19.
Une gestion d’équipe infirmière
Pour tous ces lits de réanimation, il fallait aussi pouvoir monter en puissance avec le personnel infirmier. Il a donc été décidé de mixer les équipes. Nous avons eu le soutien de personnel venant du bloc opératoire, de la salle de réveil, des soins intensifs pédiatriques... Ces infirmièr(e)s ont été intégrés et coachés par le personnel spécialisé des soins intensifs (SIAMU). En travaillant par binômes, l’adaptation a été rapide et plus facile. Soulignons que nous avons un taux d’absence par contamination incroyablement bas et que nous pouvons compter sur 97% du personnel des soins intensifs.
Une gestion logistique
La logistique est également un challenge. Prendre en charge tant de patients nécessite un approvisionnement constant. La pénurie globale notamment en produits pharmaceutiques et consommables nous oblige à être en combat permanent pour éviter les ruptures, à nous réinventer pour trouver des alternatives aux produits manquants, à nous rendre créatifs et collaboratifs pour solliciter par exemple l’aide d’industriels non médicaux qui mettent leurs compétences à notre service.
La mise en place de l’unité de réanimation en salle de réveil a nécessité des travaux et adaptations diverses pour transformer cet espace en unité de pointe avec sa logistique propre, ses circuits sales et contaminés indépendants, ses équipements en respirateurs ou encore en machines de laboratoire. Nous avons aussi déployé un réseau de fluide supplémentaire pour pouvoir sédater les patients avec des gaz halogénés d’anesthésie générale.
Un lien avec les familles
Les circonstances toutes particulières de la distanciation sociale et de l’isolement des hôpitaux rendent le quotidien des patients et de leur famille beaucoup plus difficile. Nous tâchons cependant de garder l’humanité au centre de nos attentions avec respect et empathie.
C’est une épreuve émotionnelle difficile pour ces patients gravement malades, aux jours parfois comptés, séparés des leurs, retranchés dans l’épreuve avec les soignants. Ainsi, chaque médecin appelle quotidiennement les familles des patients dont il a la charge pour les tenir informées de l’évolution médicale. L’équipe des psychologues s’est mobilisée pour soutenir les soignants, mais également les patients et leurs familles, avec un appel de chaque famille pour réaliser un accompagnement spécialisé.
Un système de tablettes a été mis en place pour permettre aux patients éveillés de communiquer en vidéo-conférence avec les leurs, mais également aux familles qui étaient demandeuses de voir leurs proches sous sédatifs. Les situations de fins de vie sont accompagnées au mieux dans les circonstances, avec la possibilité pour les proches de venir au chevet du patient en s’équipant d’équipements de protection individuels.
La gestion dans le temps
Nous entrons maintenant dans une 2
e étape de la crise. Nous avons franchi l’urgence des adaptations et de la montée en puissance. Nous sommes à l’étape de l’endurance, de la durée dans le temps. Alors que la fatigue est réelle et le risque de l’infection toujours bien présent, les équipes doivent garder la même énergie et la même passion pour sauver nos patients.
Un des enseignements de cette crise est notre capacité d’adaptation. Après celle du déménagement en contexte d’épidémie, les équipes relèvent le défi d’une mise en alerte du plan d’urgence hospitalier avec une puissance inédite de presque 100 lits ventilables. La direction du Groupe santé CHC a rapidement pris la mesure de l’urgence sanitaire, et mis tous les moyens nécessaires pour faire front, permettant à notre hôpital de se réorienter autour de cette pathologie nouvelle et spécifique. Le service des soins intensifs fait tout pour maintenir l’excellence des soins et prend ses responsabilités comme leader au sein du réseau CHC, tout en gardant l’humanité au centre de ses préoccupations.
À l’heure d’écrire ces lignes, nos premiers patients quittent le service après presque 3 semaines de réanimation. Nos équipes en sont émues et en tirent une force énorme pour continuer le combat.